Inspiré du Requiem d’Anna Akhmatova.

 

« Lorsqu’Ayako Okubo et Olivier Maurel m’ont fait part de leur souhait de réaliser, avec l’ensemble HANATSU miroir, un concert monographique intégrant une création avec dispositif électronique, j’ai de suite entrevu la possibilité de composer une nouvelle œuvre à partir du Requiem d’Anna Akhmatova qui emploie les armes aiguisées du verbe et de la poésie pour résister à la barbarie et à l’obscurantisme.


Le désir de me confronter à ce recueil, l’un des ouvrages les plus intenses de la poésie russe du XX siècle, m’avait été soufflé par plusieurs personnes qui me sont chères. Elisabeth Kaess, à qui ce projet est dédié, a joué un rôle fondamental, en acceptant d’assumer le rôle du dramaturge – ses travaux universitaires sont venus nourrir ma composition et notamment son analyse structurelle de la versification des poèmes que j’ai tenté de traduire en une forme de prosodie mélodique et d’articulation formelle pour ma musique. Les remarques d’André Markowicz, qui n’a de cesse d’affirmer l’impossibilité de restituer en français la richesse à la fois prosodique et structurelle de cette poésie, m’ont également été précieuses pour me guider dans l’approche des poèmes, que j’ai souhaité la plus discrète possible. Je ne m’imaginais pas mettre en musique la poésie d’Akhmatova avec une écriture vocale comme j’ai l’habitude de le faire avec d’autres poètes (Celan, Trakl, Juarroz, Ungaretti, etc.). Je ne peux que laisser le poète réciter ses poèmes, qui viennent alors scander l’ensemble du concert/spectacle, et lui octroyer ainsi une place centrale. J’ai par conséquent composé une musique qui, tout en vivant sa vie propre, entre en dialogue avec le texte par un grand nombre de liens symboliques, sans jamais chercher à illustrer ou représenter ce qui est dit dans les poèmes.


Le concert/spectacle Requiem suit le déroulement chronologique du recueil éponyme d’Anna Akhmatova et se compose de huit œuvres qui s’enchaînent dans la continuité, ponctuée par les moments de parole du poète. Les cinq œuvres en création mondiale ont été composées spécialement pour ce spectacle à l’intention des musiciens de l’ensemble HANATSU miroir. La dernière œuvre du concert, La lueur bleue de ses yeux bien-aimés, réunit l’ensemble des quatre musiciens autour des derniers poèmes du recueil. Les quatre autres œuvres sont pour instrument seul. J’ai souhaité de cette manière souligner la solitude, voire l’isolement, d’Anna Akhmatova au moment de l’écriture de ses poèmes. Parmi les huit œuvres du projet Requiem, deux d’entre elles avaient été précédemment composées: C’era una volta (1986), d’après un poème de Bertold Brecht, et Fragments retrouvés (2001), présentée dans une nouvelle version pour clarinette, violoncelle et marimba. Ces deux œuvres sont les seules à être jouées sans amplification car, tout au long de la soirée, la composition instrumentale dialogue avec un double dispositif électronique : d’une part, le son des instruments est traité en temps réel par des transformations ou des prolongations du geste propre – idiomatique – de l’instrumentiste, et d’autre part, des séquences de sons fixés laissent apparaître la voix d’Anna Akhmatova lisant les poèmes de son recueil dans un enregistrement réalisé en URSS quelques mois avant sa mort. Nous avons choisi de diffuser la voix depuis un haut parleur de gare, placé au centre du plateau, pour qu’elle résonne in absentia. Les poèmes surgissent des textures sombres créées à partir de sons de cloches et de gongs qui confèrent à l’ensemble un climat de rituel, une messe aux morts et aux disparus dans les camps et autres prisons. »

Gualtiero Dazzi (compositeur)

 

Composition : Gualtiero Dazzi // Dramaturgie : Elisabeth Kaess // Flûtes : Ayako Okubo //Percussions / réalisation informatique musicale : Olivier Maurel // Clarinettes : Thomas Monod // Violoncelle : Anil Eraslan // Scénographie et vidéo : Marie-Anne Bacquet // Création lumières : Raphaël Siefert // Son : Frédéric Appfel